Autour de la Terre

Quand l’eau redessine la forme de la Terre

C’est bien connu : la Terre se déforme au gré de la tectonique des plaques. Mais notre planète subit également les effets des mouvements des masses d’eau à sa surface et en profondeur. Lacs, rivières, océans, glaciers et eaux souterraines jouent ainsi un rôle majeur dans la forme de notre planète. Kristel Chanard, chargée de recherche IGN au sein de l'Unité Mixte de Recherche (UMR) de l’Institut de physique du globe de Paris, étudie ces phénomènes. Son travail, reconnu par plusieurs distinctions dont la médaille de bronze du CNRS, révèle comment l'eau redessine la Terre, notamment sous l'effet du changement climatique et de l'activité humaine.

Publié le 16 juin 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Vous étudiez les déformations de la Terre causées par les masses d’eau. En quoi consiste exactement votre travail de recherche ?

Kristel Chanard sur la bateau Le Pourquoi pas ?

Je décrypte comment la Terre se déforme sous l’influence des grandes masses d’eau, que ce soit les glaciers, les océans, les nappes souterraines, ou de phénomènes saisonniers comme les moussons. Il faut imaginer la Terre comme un immense trampoline, qui se déforme sous l’effet des charges d’eau. Ainsi, lorsqu’un glacier fond, la croûte terrestre rebondit car elle se trouve allégée d’une masse importante. À l'inverse, pendant la mousson par exemple, la Terre s’affaisse de quelques centimètres sous le poids des pluies abondantes, puis elle remonte une fois l’eau écoulée. Je m’efforce d’analyser comment varient, au gré des masses d’eau, ces trois paramètres essentiels : la rotation de la Terre, son champ de gravité et la forme même de sa surface. Ma discipline est donc à l’interface entre la géodésie, la géophysique et l’hydrologie.

Quels instruments utilisez-vous pour mesurer ces variations ?

Nous exploitons plusieurs sources de données, notamment celles de la mission GRACE. Elle est composée de deux satellites en orbite quasi-polaires (qui effectuent le tour de la Terre via ses pôles, NDLR) volant à environ 500 kilomètres d’altitude et séparés l’un de l’autre de 200 kilomètres. Lorsque l’un des satellites survole une région dense, comme une montagne, un glacier ou une importante masse d’eau, il subit une attraction gravitationnelle plus forte, ce qui perturbe légèrement son orbite et donc la distance entre les deux engins. Grâce à un système de mesure d’une extrême précision, ces derniers peuvent détecter des variations de distance de l’ordre du diamètre d’un cheveu ! Nous pouvons ensuite analyser ces données en détail afin de traquer les masses d’eau. Mais pour pouvoir interpréter finement ces signaux et les distinguer d’autres phénomènes, nous les croisons avec d'autres données. C'est la raison pour laquelle nous travaillons étroitement avec des spécialistes d’autres disciplines : géologie, glaciologie, hydrologie…

Station permanente GNSS à Simikot au Népal

Les données dont vous disposez montrent-elles un lien entre le changement climatique et l’évolution de ces masses d’eau ? Peut-on ainsi dire des activités humaines qu’elles impactent jusqu’à la forme de la Terre ?

Absolument. Par exemple, l’épuisement des nappes phréatiques conduit à l’effondrement des sols. En effet, le sous-sol fonctionne un peu comme une éponge. Lorsque les aquifères se remplissent, l'eau exerce une pression dans les pores des roches, provoquant ce que l’on appelle une expansion poro-élastique : le sol gonfle légèrement (ce qui est limité dans le cas le cas de la mousson, car l’eau arrive de façon trop abrupte et ruisselle plutôt que de s’infiltrer en profondeur pour générer pareil gonflement). En Californie, l'exploitation excessive des eaux souterraines en période de sécheresse réduit cette pression, provoquant à terme un effondrement irréversible du sol. Cela nous rappelle qu’il faut absolument préserver l’équilibre entre prélèvements et recharge naturelle afin de préserver la capacité de notre planète à stocker l’eau sur le long terme. Ce que nous comprenons là-bas nous aide à mieux anticiper les risques ici. Les sols français sont évidemment menacés du même phénomène, nous les surveillons de près. La fonte des glaces impacte aussi fortement la forme de la Terre. Notre planète répond de façon complexe au retrait glaciaire, avec une réponse parfois différée dans le temps.

Vos travaux montrent que ces variations de masse d’eau ont aussi une incidence sur l’activité sismique. Comment l’expliquer ?

La Soufrière, Guadeloupe

Une faille géologique est une interface entre deux blocs rocheux soumis à des contraintes. La fonte d’un glacier situé au-dessus de cette faille, ou l’extraction d’eau autour de celle-ci, modifie cette contrainte et peut influencer le risque sismique. En Himalaya, par exemple, on enregistre davantage de petits séismes en hiver qu’en été. En effet, pendant la mousson estivale, l’eau accumulée exerce une pression qui bloque partiellement les failles ; en hiver, cette pression diminue. Par conséquent, la plaque indienne peut s’enfoncer plus facilement sous la plaque eurasienne, ce qui génère davantage de petits séismes. En Guadeloupe, à la Soufrière, les fortes pluies infiltrées dans le volcan provoquent des microséismes et un gonflement saisonnier de l’édifice.

Comprendre précisément ces mécanismes est essentiel pour anticiper les futures déformations de la Terre liées au changement climatique et les conséquences de celles-ci pour l’évolution des références géodésiques. C’est aussi capital pour mettre en place une gestion durable des ressources en eau.

Vos recherches apportent des données nouvelles sur notre planète. Quel parcours vous a menée jusqu’ici ?

Rien ne me prédestinait à la recherche ! J’ai grandi dans un environnement où les longues études n’étaient pas la norme. C’est une prof de physique qui m’a encouragée à poursuivre dans cette voie. J’ai intégré une classe prépa, puis l’ENS. C’est là, en suivant le cursus « Terre, atmosphère, océan », que j’ai découvert les géosciences, là que j’ai compris qu’on pouvait faire de la physique appliquée aux phénomènes naturels. J’ai trouvé ça génial ! J’ai rapidement découvert la montagne, qui me fascinait depuis que j’étais enfant, lors de stages de terrain dans les Alpes, puis en Himalaya, au Népal. Installer des stations sur les flancs des montagnes m’a conduite vers l’alpinisme, qui est rapidement devenu une vraie passion. Aujourd’hui, je travaille davantage avec des données satellitaires, mais ma passion pour la montagne reste très présente dans ma vie personnelle. Et je vais retourner prochainement sur le terrain. Nous avons le projet de nous rendre au îles Kerguelen, en partenariat avec l’IGN, afin d’étudier de près la déformation du sol liée à la fonte du glacier Cook, qui n’est autre que le plus grand glacier français.

Installation d’une station GNSS permanente au Népal

Vous êtes engagée dans la communication de vos travaux auprès du grand public. Pourquoi est-ce important ?

En effet, je me rends souvent dans les écoles, je donne des conférences grand public, je participe volontiers à des documentaires, des émissions pour les enfants… Ce que j’aime, c’est expliquer mon sujet de recherche, qui touche la vie des gens, mais aussi partager ma passion pour la recherche en général, ce beau métier qui nous pousse à nous poser une foule de questions et que, dans certains milieux, on ne connaît pas. Ce qui m’anime, c’est notamment l’espoir de susciter des vocations chez les jeunes, en particulier chez les jeunes filles. En tant que femme de couleur, je pense qu’il est important de montrer qu’on a tous et toutes notre place dans la recherche scientifique.

Propos recueillis par Émilie Martin Du Fou

Mis à jour 17/06/2025

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