Sur le terrain

La culture du risque se construit collectivement

Publié le 08 septembre 2025

Temps de lecture : 15 minutes

Par son relief marqué, son dense réseau hydrographique et sa façade maritime qui occupe les deux tiers de son pourtour, la France métropolitaine est particulièrement exposée aux inondations. Au niveau national, elles constituent d’ailleurs le premier risque naturel par l’importance des dommages qu’elles occasionnent et le nombre de communes concernées. Avec l’accélération du réchauffement climatique, ces phénomènes naturels sont amenés à devenir à la fois plus intenses et plus fréquents. Dans un tel contexte, services de l’État et collectivités territoriales travaillent de concert pour anticiper les catastrophes à venir tout en préparant la population des territoires les plus exposés à surmonter un aléa climatique devenu inéluctable.

Pas une année ou presque ne s’achève sans qu’une inondation dévastatrice ne frappe un ou plusieurs départements français : Alpes-Maritimes en septembre 2020, Gard en septembre 2021, Pas-de-Calais en novembre 2023, Ardèche et Rhône en octobre 2024, Haute-Garonne et Var en juin 2025, etc. La litanie des débordements de cours d’eau, crues éclair, coulées de boue et autres submersions marines ne cesse de s’allonger à mesure que la planète se réchauffe. Une tendance à la hausse qui n’a pourtant rien de surprenant. Avec l’augmentation des températures, les nuages ont en effet tendance à emmagasiner davantage d’humidité. Leur pouvoir de précipitation, à savoir le volume de pluie que chaque formation nuageuse est capable de générer, s’accroît de 7 % dès que la température de l’atmosphère augmente de 1 °C. « À l’échelle de la France, le réchauffement climatique s’est déjà traduit par une hausse de 12 % de l’intensité des pluies extrêmes par rapport aux années 1960 et nos modèles climatiques prévoient encore une augmentation de 10 à 15 % de ces mêmes pluies intenses à l’horizon 2050 », complète Benoît Thomé, directeur des relations institutionnelles de Météo-France.

Or qui dit précipitations plus abondantes sur un laps de temps très court dit aussi risque accru pour les populations des territoires touchés par ces phénomènes de voir leur logement endommagé ou même détruit par une brusque montée des eaux. C’est le scénario catastrophe auquel furent confrontées les vallées de la Roya et de la Vésubie, le 2 octobre 2020. En à peine vingt-quatre heures, plus de 500 litres d’eau par mètre carré vont se déverser sur ce territoire très accidenté des A pes-Maritimes. Les conséquences furent à la mesure du caractère hors norme de cet épisode méditerranéen : 18 personnes décédées ou portées disparues, des centaines de sinistrés, près de 500 bâtiments détruits, des ponts et des routes emportés par une lame d’eau de 7 mètres de haut.

À Paris, la Seine sort de son lit et gagne les rues lors de la crue de 1910.

Se préparer à la crue centennale

En raison de sa topographie et de sa localisation géographique, la France hexagonale a toujours été exposée au risque inondation. Bien que certains événements catastrophiques, comme la crue centennale 1 de la Seine de janvier 1910, aient davantage marqué les esprits, tous les grands fleuves français (Garonne, Rhône, Loire, Rhin) ont connu des inondations de même ampleur entre le milieu du XIXe et le début du XXe siècle. Dans le cas de la Loire, les plus hautes eaux connues ont été enregistrées en juin 1856. 

Avec 7,58 mètres mesurés au niveau de la ville de Tours, le fleuve avait alors atteint près de dix fois sa cote habituelle pour cette période de l’année. « Si une montée des eaux similaire se produisait aujourd’hui, elle engendrerait entre 10 et 30 milliards d’euros de dégâts, assure Emma Haziza, docteure de l’École des mines de Paris et experte reconnue en adaptation climatique. Sur l’ensemble du Val de Loire qui constitue désormais un important pôle d’attractivité économique européen, un million de personnes et près de 250000 emplois seraient potentiellement affectés. »

Inondation de La Réole (Gironde) en mars 1930

1/4 des Français sont exposés au risque inondation par débordement de cours d'eau ou submersion marine (source : Ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche)

Malgré un risque inondation qui ne cesse de s’accentuer sous l’effet du réchauffement climatique, un bilan humain aussi lourd que celui engendré par les crues torrentielles de la Roya et de la Vésubie reste exceptionnel en France. Cela s'explique par un changement de doctrines dans la gestion de cet aléa à la suite d’une série d’inondations meurtrières survenues entre la fin des années 1980 et le début des années 1990. Pendant longtemps, les autorités ont estimé qu’il était possible de protéger la population d’une brusque montée des eaux en bâtissant d’imposants ouvrages hydrauliques tels que des digues et des barrages écrêteurs de crues. Mais cette vision aménagiste héritée de l’ère napoléonienne a totalement été remise en question après le drame de Vaison-la-Romaine.

« Cette crue centennale de l’Ouvèze qui a provoqué la mort de plus de 40 personnes en 1992 a constitué un véritable point de bascule dans notre manière d’appréhender le risque inondation, rappelle Swann Lamarche, chargé de relations partenariales à l’IGN sur la prévention des risques. Depuis lors, les politiques mises en œuvre ne visent plus tant à se protéger à tout prix des débordements de cours d’eau qu’à déployer des actions visant à réduire la vulnérabilité des personnes et des biens exposés à ce risque. »

« L’inondation de Vaison-la-Romaine a constitué un point de bascule dans notre manière d’appréhender le risque inondation. »
Swann Lamarche, chargé de relations partenariales à l’IGN sur la prévention des risques

Maîtriser l'urbanisation pour circonscrire le risque

La prévention des inondations passe en premier lieu par l’aménagement du territoire. La loi relative au renforcement de la protection de l’environnement, dite loi Barnier, constitue le principal outil législatif de cette stratégie. Entrée en vigueur en 1995, elle institutionnalise les plans de prévention des risques naturels (PPRN). Réalisés sous l’autorité des préfets sur les territoires les plus exposés, ces plans sont élaborés en association étroite avec les collectivités et en concertation avec la population. Sur les 36 000 communes françaises, plus de 10 900 sont aujourd’hui couvertes par un plan de prévention des risques d’inondation (PPRI), soit environ 75 % de la population exposée à cet aléa. Les PPRI délimitent les zones d’exposition au risque inondation dans lesquelles ils réglementent les possibilités de constructions ou d’aménagements. Dans les zones où l’aléa est le plus fort, le PPRI interdit, par exemple, l’édification de nouveaux bâtiments ou peut imposer l’installation d’une zone refuge située en hauteur dans les habitations existantes. 

22 Md€ c'est le montant que les plans de prévention des risques d'inondation ont permis d'économiser en dommages assurés, de 1995 à 2018 (source : Caisse Centrale de Réassurance)

Dans les secteurs moins exposés, il peut recommander ou imposer des mesures protectrices, comme la construction de logements avec un rez-de-chaussée situé au-dessus des plus hautes eaux connues du fleuve ou de la rivière qui traverse la commune, ou bien encore encadrer certaines activités. C’est à la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) que revient la responsabilité d’établir la politique nationale en termes d’inondation. « Nos missions dans ce domaine consistent à renforcer la sécurité des populations, à minimiser le coût des dommages aux biens et à réduire autant que faire se peut les délais de retour à la normale dans les zones inondées », souligne Véronique Lehideux, cheffe du service des risques naturels et hydrauliques à la DGPR. Cette administration rattachée au ministère chargé de l’Écologie s’efforce également d’entretenir la mémoire historique des inondations via la gestion de la plateforme nationale collaborative des repères de crues installés au niveau des ouvrages (piles de ponts, quais, digues...) qui jalonnent les cours d’eau. La DGPR veille aussi à ce que les relevés des laisses de crue2 soient bien réalisés par les services déconcentrés de l’État après chaque événement d’ampleur. Sachant que quelques années sans inondation remarquable suffisent à effacer le souvenir d’une telle catastrophe de la mémoire collective, la démarche contribue à entretenir la culture du risque parmi la population.

Inondations : des data pour faire barrage

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Le ruissellement gagne du terrain

Dans le cadre du troisième plan national d’adaptation au changement climatique lancé en mars 2025, la DGPR s’est également vu confier la réalisation d’une carte nationale des débordements de cours d’eau et des phénomènes de ruissellement. Ces représentations cartographiques seront non seulement réalisées dans les conditions climatiques actuelles mais aussi à l’horizon 2100 en se basant sur l’hypothèse que la France subira alors un réchauffement de + 4 °C 3. Améliorer la modélisation du ruissellement, c’est-à-dire l’écoulement des eaux à la surface des sols, sur l’ensemble du territoire national fait d’ailleurs partie des prochains défis à relever en matière de prévention du risque inondation, selon Emma Haziza : « Le fait que la moitié des Français inondés ces cinq dernières années ne vivaient pas en zone inondable est directement lié à une extension des phénomènes de ruissellement résultant eux-mêmes de l’intensification des pluies combinée à l’artificialisation croissante du territoire. » Afin de prendre en compte cette évolution, l’experte en hydrologie suggère de repenser le concept de zone inondable en l’élargissant aux secteurs les plus exposés au ruissellement. Elle préconise en outre de généraliser l’installation de dispositifs anti-inondation individuels comme les batardeaux4, ceux-ci ayant prouvé leur efficacité face à une brusque montée des eaux. 

Des agents municipaux portent secours aux populations lors de la crue du Loing à Nemours en juin 2016

Plus de 70 % des communes françaises ont déjà été déclarées en état de catastrophe naturelle pour ruissellement et coulées de boue (source : Caisse Centrale de Réassurance)

Pour améliorer la modélisation de tels phénomènes à l’échelle de l’Hexagone ainsi que dans les départements et régions d’outre-mer (DROM), où cet aléa est tout aussi prépondérant, la DGPR s’appuie sur la représentation numérique du territoire national élaborée par l’IGN. Grâce au programme de cartographie LiDAR HD lancé par l’Institut en 2021, il est désormais possible de modéliser de façon très détaillée le parcours des précipitations qui s’abattent sur la quasi-totalité de la France métropolitaine et la plupart des DROM. « À la différence du LiDAR conventionnel dont le niveau de résolution permet de visualiser uniquement des événements de grande ampleur comme un débordement de cours d’eau ou une submersion marine, la description fine du territoire national fournie par le LiDAR HD autorise désormais une modélisation de l’intégralité du chemin hydrographique, à savoir le trajet de la pluie à partir du moment où elle touche le sol jusqu’à celui où elle rejoint son bassin collecteur », explique Swann Lamarche. En matière de risque inondation, le suivi des précipitations commence toutefois bien avant que celles-ci ne s’abattent sur le territoire. Cette tâche qui incombe à Météo-France s’appuie en premier lieu sur deux modèles numériques capables de représenter l’atmosphère dans sa globalité, pour le premier, et à l’échelle plus resserrée du territoire national, pour le second. En parallèle, les ingénieurs de Météo-France observent en temps réel l’atmosphère via des stations automatiques, des radars météorologiques et des satellites pour affiner régulièrement les conclusions de leurs modèles. Les prévisions ainsi obtenues servent ensuite à établir des cartes de vigilance à l’échelle du département, vingt-quatre à quarante-huit heures avant la survenue d’un événement remarquable tels un orage violent ou un épisode méditerranéen.

Un système de vigilance toujours plus fiable

Huit phénomènes naturels, dont trois en lien avec le risque inondation (orages, vagues-submersion, pluie-inondation), font aujourd’hui l’objet d’un suivi constant de la part de Météo-France. De plus, depuis 2020, l’établissement public relaie également les bulletins de vigilance aux crues produits par le réseau national Vigicrues. Un code couleur matérialise à la fois l’intensité de l’événement annoncé et le comportement à adopter dans ces circonstances : vert (pas de vigilance), jaune (soyez attentif), orange (soyez très vigilant) et rouge (une vigilance absolue s’impose). Mettant en garde contre l’arrivée imminente de phénomènes dangereux, les deux derniers niveaux de vigilance ont vu leur taux de fiabilité se renforcer au fil du temps. Il est le fruit de l’amélioration conjointe de la qualité des observations et des capacités de calcul déployées par Météo-France. « Au cours de l’année 2024, sur les 69 épisodes de vigilance orange ou rouge activés par Météo-France, dont une majorité de phénomènes associés au risque inondation, près de 90 % se sont avérés justifiés, détaille Benoît Thomé. Sur cette même période, à peine 1 % de tous les événements météorologiques qui auraient dû nécessiter de tels niveaux de vigilance n’ont pas donné lieu à une alerte de la part de nos services. » 

« Sur les 69 épisodes de vigilance orange ou rouge activés par Météo-France en 2024, près de 90 % se sont avérés justifiés. »
Benoît Thomé, directeur des relations institutionnelles de Météo-France

Si la fiabilité de la prévision d’une crue ou d’un épisode orageux intense ne cesse de se renforcer, encore faut-il que les personnes amenées à y être exposées adoptent les bons comportements pour s’en protéger. Inculquer à la population les bons réflexes avant, pendant et après une inondation constitue en effet un levier essentiel de la prévention du risque d’inondation. « Pendant des années, des gens sont morts noyés en tentant de récupérer leurs véhicules stationnés dans des parkings souterrains, rappelle Véronique Lehideux. Mais à force de marteler des messages de prévention tels que se réfugier en hauteur, rester chez soi et ne surtout pas prendre sa voiture à l’approche d’une inondation, de tels drames sont devenus exceptionnels. » Bien qu’elle reste souvent circonscrite aux territoires régulièrement affectés par les inondations, comme le pourtour méditerranéen, cette culture du risque progresse notamment à travers le déploiement de la Journée nationale de la résilience, mise en place en 2022, qui incite au développement d’initiatives destinées à la diffuser le plus largement possible parmi la population : ateliers participatifs, expositions itinérantes, opérations de sensibilisation ciblant les enfants, distribution de livrets pédagogiques, témoignages d’anciens sinistrés, etc. « Une acculturation réussie au risque inondation se traduira dans tous les cas par la capacité à prendre collectivement les bonnes décisions au bon moment », conclut Emma Haziza.


Emma Haziza est titulaire d’un doctorat en hydrologie de l’École des mines de Paris et experte de la résilience des territoires face aux extrêmes climatiques. Tout au long de sa carrière, elle a eu l’opportunité de former de nombreux acteurs et décideurs politiques à la gestion du risque inondation.

Swann Lamarche est ingénieur formé à l’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE). Il est chargé de relations partenariales à l’IGN dans le domaine de la prévention des risques et du changement climatique. Avant de rejoindre l’Institut, il a notamment travaillé à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) des Hauts-de-France.

Véronique Lehideux est ingénieure générale des ponts, des eaux et des forêts. Elle a commencé sa carrière à l’IGN où elle a travaillé pendant près de vingt ans au sein de divers services et directions, avant d’exercer en service déconcentré sur le développement durable. Depuis 2021, Véronique Lehideux supervise le service des risques naturels à la Direction générale de la prévision des risques (DGPR).
 

Benoît Thomé est diplômé de l’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE) et de l’École nationale des ponts et chaussées (ENPC). Il intègre Météo-France en 2007 où il est amené à diriger le Centre de météorologie spatiale de Lannion avant de prendre la tête de la Direction interrégionale Centre-Est. Depuis 2023, il dirige la Direction des relations institutionnelles de cet établissement public.


1 Une crue centennale a un risque sur 100 chaque année de se produire.
2 Débris piégés par la végétation ou dépôts abandonnés aux abords d’une rivière lors d’une crue et matérialisant le plus haut niveau atteint par l’eau.
3 Cette hausse de 4 °C a été retenue par le gouvernement français pour sa Trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC). Elle correspond au scénario de réchauffement tendanciel du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à l’horizon 2100.
4 Digue ou barrage provisoire, établi en site aquatique pour mettre à sec la base d’une construction que l’on veut réparer ou l’emplacement sur lequel on veut élever un ouvrage.


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Mis à jour 09/09/2025

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