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Ces six fondements de la cartographie actuelle hérités des Cassini

Le 8 juin 2025 marque le 400ème anniversaire de la naissance de Giovanni Domenico Cassini. Cet astronome d’origine italienne, naturalisé français à l’âge de 48 ans, a, avec ses descendants, marqué l’histoire de la cartographie et laissé un héritage fondateur pour la cartographie contemporaine.

Publié le 06 juin 2025

Temps de lecture : 10 minutes

Giovanni Domenico (naturalisé Jean-Dominique), Jacques, César-François puis Jean-Dominique. Sur quatre générations, les Cassini ont accompli un travail unique dans l’histoire de la cartographie en perpétuant chacun l’œuvre de leurs aînés. De 1669 à 1793, de père en fils et de concert, ces astronomes rattachés à l’Académie des sciences et à l’Observatoire de Paris se sont consacrés à la topographie du royaume.

Grâce à l’établissement de la première carte homogène à l’échelle de la France entière, les Cassini ont posé les bases de la cartographie et de la géodésie telles qu’on les connaît aujourd’hui.

Statue de Cassini au Louvre, Paris © Wikimedia Commons

1. Toute la France à grande échelle, pour la première fois

La carte des Cassini est le premier travail de cartographie fondé sur un protocole et des normes à une si grande échelle. Les 181 cartes topographiques de l’ouvrage final couvrent de manière homogène l’ensemble du royaume de France, chacune représentant une parcelle d’environ 80x50 kilomètres à l’échelle 1:86 400.

La première feuille imprimée est celle de Paris, en 1756. Pour la première fois, les cartes sont toutes orientées au Nord et sont réalisées en suivant un découpage rectangulaire régulier. Le positionnement de coordonnées aux coins de chaque feuille permet de les assembler en une carte complète de 12 x 12 mètres, la Carte générale de la France.

L’ouvrage final donne une vision d’ensemble du royaume dans ses frontières de l’époque. Ainsi, la Corse, la Savoie et Nice n’apparaissent pas, n’étant pas françaises à l’époque. Des villes aujourd’hui belges, luxembourgeoises ou allemandes sont en revanche intégrées, comme par exemple Chimay ou Landau.

Carte générale de la France pour l’assemblage des cartes publiées © Wikimedia Commons

Comparer la carte des Cassini avec les cartes actuelles sur Remonter le temps

2. Le souci de l’exactitude, il y a près de quatre siècles déjà

Longtemps, les cartes sont restées symboliques et approximatives. La carte initiée par Cassini généralise l’usage d’une technique de cartographie de précision relativement peu répandue à l’époque en France : la triangulation géodésique.

Cette méthode fondée sur les principes de la trigonométrie a été introduite par Jean Picard, astronome et géodésien de l’Académie des sciences, pour la réalisation de sa « Carte des environs de Paris ». Elle fait suite à la sollicitation de Colbert, ministre du roi Louis XIV, qui souhaite alors voir améliorer l’exactitude des cartes de France. La triangulation forme la base du travail de cartographie pour les siècles à venir.

En pratique, cette méthode consiste à prendre appui sur trois points du paysage (souvent des points hauts et immuables, comme les clochers d’églises ou les sommets de montagnes) et sur la mesure de deux angles pour définir des coordonnées et des distances. Ces triangles sont répétés afin de former une chaîne de coordonnées et constituer un « châssis géographique » de l’ensemble du royaume de France.

Illustration du principe de triangulation au XVIème siècle © Wikimedia Commons

C’est pour déterminer précisément le point de départ de ce canevas géodésique que Jean-Dominique Cassini, premier du nom, puis son fils Jacques, rejoignent l’aventure cartographique dont ils prennent finalement les commandes. Leur mission : tracer la méridienne de France, une ligne imaginaire reliant la France du Nord au Sud, de Dunkerque à Perpignan en passant par Paris.

La Carte des Cassini* matérialise ainsi cette ambition d’exactitude avec une précision telle qu’il est possible de la superposer avec nos cartes les plus récentes. Une véritable révolution qui en fait, encore aujourd’hui, un outil précieux pour observer l’évolution du territoire. 

*La première carte de triangulation du royaume entier, nommée « Carte qui comprend les principaux Triangles qui servent le Fondement à la Description Géométrique de la France, levée par ordre du Roy » sera achevée en 1744 par Cassini III qui la présentera au Roi Louis XV.

Extrait de la Carte des Cassini @ Remonter le temps

Voir la carte sur le site Remonter le temps

3. La carte comme outil stratégique

Les édifices représentés sur la carte de Cassini témoignent d’une volonté d’utilisation sur la durée. Cette carte avait pour but de servir des objectifs stratégiques, de la gestion commerciale et administrative du territoire à la défense militaire, au même titre que les cartes actuelles constituent des outils d’aide à la décision pour l’action publique dans les territoires

En 1793, la carte de Cassini fut confiée au Dépôt de la Guerre, ancêtre de l’IGN, qui en acheva la publication en 1815.

Carré du Nord-Est de la feuille n°2 de la carte de Cassini : Compiègne-Beauvais

4. Des signes cartographiques standardisés

La carte de Cassini voit la mise en place d’une nouveauté à laquelle nous ne prêtons plus attention : la normalisation de signes conventionnels sur l’ensemble des cartes représentant le territoire.

À l’époque de Cassini IV, les légendes ne figurent pas directement sur les cartes. Elles sont consignées dans des registres annexes. Ces derniers constituent le premier répertoire de tous les symboles que l’on peut trouver sur une carte.

L’administratif y est particulièrement mis en avant : les chefs-lieux, les maisons de justice et les différents édifices religieux ont leurs symboles propres. La typographie est également normalisée selon l’importance des villes. Les routes et chemins pavés sont, quant à eux, représentés teintés de gris et bordés ou non de plantations d’alignement. Si les routes moins fréquentées n’apparaissent pas toutes sur la carte, il s’agit néanmoins des premières ébauches de catégorisation du réseau routier.

Extrait de la légende de la Carte des Cassini © Géoportail

Voir la légende complète de la Carte des Cassini

5. Une ébauche de plan d’occupation des sols

La description de l’occupation des sols, au cœur des préoccupations de la cartographie moderne, commence à se développer avec la Carte des Cassini. Des trames sont créées pour indiquer les bois et les vignes et faciliter la gestion forestière. Les fleuves et rivières principales sont dessinés dans leur surface et les îlots sont représentés, les voies navigables étant alors d’importants réseaux de communication et de commerce.

La représentation du bâti est particulièrement soignée : l’étendue des villes importantes et/ou fortifiées ainsi que des bourgs est dessinée sur la carte. Les hameaux et paroisses ont quant à eux leurs symboles propres, de même que les maisons isolées ou les moulins à eau ou à vent. Leur état est indiqué par une représentation différente selon que la structure est fonctionnelle ou en ruines.

On observe aussi une ébauche de figuration du relief grâce à des hachures qui seront reprises et améliorées par la suite avec la Carte de l’état-major ordonnée par Napoléon Ier. Celle-ci fera figurer l’inclinaison du relief ainsi que ses différents niveaux en fonction de la longueur et de l’orientation des traits, apportant une précision alors inégalée aux données topographiques.

Extrait de la carte de Cassini ©  Remonter le temps

Voir la carte sur le site Remonter le temps

6. Le mètre, unité de mesure universelle

Autre héritage majeur des travaux des Cassini : le mètre ! Il s’est imposé comme unité de mesure universelle à la suite de la Révolution française.

Si les cartes des Cassini avaient pour unité la toise, équivalente à six pieds (environ 1m94), le calcul du mètre provient du méridien de Paris. Il correspond à un dix-millionième du quart de méridien, soit une fraction de la distance entre le pôle Nord et l’Équateur.

Deux mètres étalons, des règles en marbre, sont encore visibles à Paris aujourd’hui : le premier Place Vendôme et l’autre au 36 rue Vaugirard, son emplacement d’origine, proche de l’entrée du Sénat et du Jardin du Luxembourg.

Le mètre étalon du 36 rue Vaugirard, Paris © Wikimedia Commons

Mis à jour 06/06/2025

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